De la transnationalisation de l'action syndicale au sein des entreprises multinationales : une analyse du "Réseau UNI@Quebecor World"

Le capitalisme financier a plongé le monde dans une des pires crises économiques des dernières décennies. À gauche comme à droite, les discours se multiplient et invitent à jeter les bases d’une nouvelle régulation de l’économie mondiale. Mais peu de gestes concrets sont posés. En attendant, le pouvoir des grandes entreprises multinationales ne cesse de croître et l’évolution des conditions de travail et d’emploi dans le cadre de la mondialisation impose aux syndicats de recourir à de nouvelles stratégies, notamment au niveau international. Quelles sont donc les conditions d’émergence des nouvelles formes de collaboration intersyndicale et comment le syndicalisme international peut-il constituer un contre-pouvoir régulateur aux activités des grandes firmes multinationales ? C’est autour de cette problématique que notre thèse prend appui en s’intéressant de manière plus particulière au développement des alliances syndicales internationales. Celles-ci peuvent être définies comme des regroupements de syndicats de différents pays représentant des travailleurs d’une même entreprise multinationale. Leur objectif est généralement d’assurer et de consolider les droits syndicaux dans ces différents pays et de coordonner les activités syndicales des affiliés grâce notamment aux échanges réguliers d’informations et d’expériences qui prennent place lors de rencontres internationales. Ces alliances cherchent également le plus souvent à ouvrir un espace de dialogue et de négociation au plan international avec les directions de ces entreprises. L’objectif visé devient ici usuellement celui de ratifier des accords-cadres internationaux qui enchâssent des normes internationales minimales de travail et qui, sans se substituer aux négociations qui ont cours aux plans local et national, viennent fournir un cadre de droits pour encourager la reconnaissance et la négociation au niveau supranational Les études ayant abordé cet objet de recherche démontrent que si l’institutionnalisation de telles alliances n’est pas un phénomène nouveau, le contexte actuel de mondialisation semble véritablement contribuer à leur résurgence. Ces études laissent toutefois derrière elles plusieurs espaces d’investigations vacants de par l’attention limitée qui a été accordée jusqu’ici à la manière dont celles-ci se forment et aux processus de mobilisation et d’action collective qu’elles mettent en place. Dans le but de s’attaquer à ce vide analytique, nous avons exploré les principales approches théoriques qui étudient l’action collective pour en cerner l’évolution et identifier les développements les plus novateurs. Nous en avons retenu une approche particulière, soit la sociologie des réseaux sociaux, qui marque un point de jonction entre les deux traditions antithétiques, holiste et individualiste, qui ont structuré jusqu’ici ce champ d’études. Au plan méthodologique, la recherche s’appuie sur une étude de cas, soit celle du «Réseau UNI@Quebecor World», tandis que les données empiriques sont tirées de sources multiples dont la réalisation de nombreuses entrevues semi-dirigées avec l’ensemble des syndicalistes directement impliqués dans cette alliance. Ces entrevues ont été réalisées dans une douzaine de pays différents – autant en Europe qu’en Amérique du Nord et du Sud – le plus souvent dans le cadre des rencontres officielles entre membres de cette alliance. À ces données s’additionnent également celles émanant d’un imposant matériel documentaire et de différentes visites d’usines, encore une fois réalisées dans différents contextes nationaux. Suivant ces préceptes théoriques et méthodologiques, nous avons pu décrire de manière détaillée le processus de formation de l’alliance étudiée ainsi que la campagne mondiale de protection des droits syndicaux mise sur pied par ses membres et baptisée la campagne «Justice@Quebecor». À partir de l’étude des propriétés de sa structure d’ensemble ainsi que ses principales caractéristiques relationnelles, l’analyse nous a ensuite permis de cerner plus précisément la morphologie générale de cette alliance et mettre en lumière les conditions d’effectivité de ces nouvelles structures de collaboration intersyndicale au sein des multinationales. Globalement, les résultats de cette étude nous ont permis d’améliorer notre compréhension des processus de formation et des logiques de fonctionnement de ces alliances de même qu’ils exposent l’importance, pour les sciences sociales, de s’ouvrir à de nouvelles approches théoriques plus en phase avec les nouvelles réalités contextuelles dont l’importance accrue du champ transnational.

Lire aussi